Pierre Lacour (1745-1814), Portrait de l’architecte Victor Louis.
Huile sur toile - H. 81 cm. L. 62,5 cm. - H. 90 cm. L. 74, 5 cm (avec le cadre).
Don des Amis du musée d’Aquitaine avec l’aide de la société Le Caravage et d’une souscription auprès des Amis du musée, 2013.
Inv. 2013.10.1
Le 17 décembre 2012, l’étude Thierry de Maigret mettait en vente à l’hôtel Drouot un portrait signalé dans le catalogue comme une
œuvre de Pierre Lacour fils représentant l’architecte Louis Combes. Un amateur et un galeriste, tous deux bordelais, reconnurent la double erreur. La toile était de Pierre Lacour père et le
modèle était Victor Louis, l’architecte du Grand Théâtre. Acquise aux enchères par la société Le Caravage, elle a été rachetée par les Amis du musée avec l’aide des vendeurs et grâce à une
souscription auprès des adhérents de l’association.
Que la signature soit celle de Lacour père et non celle de son fils ne souffre aucun doute. La peinture présente au premier coup d’œil toutes les caractéristiques du style de Pierre Lacour père. Par ailleurs, Lacour fils, né en 1778, commença son apprentissage artistique à Paris, chez Vincent, à partir de 1797, à l’âge de 19 ans. Il ne saurait être l’auteur d’un portrait qui, au vu du costume, est antérieur à sa formation.
L’identification du modèle est assurée d’abord par la ressemblance avec les autres portraits répertoriés de Victor Louis. Ils sont rares. Le plus connu qui fut peint, sans doute en 1777, par Jean-Baptiste Robin (1734-1804) montre l’architecte inspiré, à sa table de travail, en train de dessiner un plan de la salle de spectacle. Un médaillon en plâtre de Philippe Titeux (1744 - 1809) a certainement été exécuté en 1780, date de l’inauguration du théâtre ; le cadrage de profil s’inspire des médailles qui immortalisent les célébrités. Le portrait de François Lonsing (1739 - 1799) daterait de 1786 et, comme celui de Robin, saisit Louis à sa table de travail et insiste sur la vivacité du modèle. Enfin, un pastel qui porte la signature de Anna Gault de Saint-Germain (v.1760 - 1832) a le caractère intime d’une œuvre familiale. Toutes ces effigies montrent un homme au visage rond, aux traits épais, au cou puissant et empâté, le menton marqué par une fossette allongée. Ce dernier détail bien souligné par Lacour est discernable également sur les autres portraits même si il y est atténué.
Le catalogue des œuvres de Pierre Lacour établi par Robert Mesuret recense sous le numéro CXLVIII (p.105) une toile passée en vente le 23 novembre 1931 à Paris chez Me Baudouin commissaire-priseur, M. Guillaume étant expert, sous le titre Un architecte, 1782. Les dimensions H. 0, 80 m. et L. 0, 65 m. sont sensiblement celles de notre tableau, les différences minimes pouvant correspondre à des mesures prises rapidement par le commissaire. La date, cependant, pose problème dans la mesure où notre portrait n’en présente aucune, pas même sous forme de traces effacées. A- t-elle été donnée par le propriétaire vendeur qui la connaissait par tradition ? Suggérée par l’expert, au jugé, pour proposer un repère chronologique au futur acheteur ? Les conditions dans lesquelles se fait habituellement le descriptif dans les catalogues de ventes publiques peuvent expliquer ces approximations.
L’identification est confirmée par le dessin du portique du Grand Théâtre que le modèle présente ostensiblement, même si cette image embarrasse ou pour le moins intrigue sans que pour autant sa véracité ne puisse être mise en doute. Sur une grande feuille blanche se détache un dessin au lavis sépia (pratique familière à Louis) qui figure une portion de colonnade. Une colonne à chapiteau corinthien ou composite (la lecture n’est pas claire) soutient une voûte plate à caissons sculptés qui correspond précisément à celle du Grand Théâtre. Mais le mur de façade n’est pas celui qui a été réalisé. Au niveau du rez-de-chaussée se succèdent une baie rectangulaire fermée suivie d’une sorte de niche ronde puis d’une baie ouverte cintrée. Le second niveau semble aveugle et au lieu des fenêtres attendues s’alignent des panneaux sculptés. Faut-il voir dans ces bizarreries un témoin des recherches de Louis autour de son second projet (février 1774), celui qui a abouti à l’invention du fameux « péristyle » ? Certains dessins de l’architecte gardent le souvenir de ses hésitations, avec des arcatures aveugles, avant que ne soit trouvé le rythme régulier des baies en plein cintre. Lacour présenterait-il un état intermédiaire des recherches de l’architecte ? Nous devons écarter cette hypothèse. Louis ne pourrait pas exhiber aussi fièrement une simple ébauche, qui plus est incohérente. Il faut admettre que c’est le peintre qui soit par ignorance de la logique architecturale soit par indifférence ou négligence s’est contenté de tracer un dessin approximatif.
Le portrait n’est pas daté. Nous renonçons d’emblée à la date de 1782 qui, nous l’avons vu, figure dans le catalogue de Robert Mesuret mais qui ne correspond à aucun moment de la présence de Victor Louis à Bordeaux. Nous ne retenons pas davantage 1780, date de l’inauguration du Grand Théâtre, qui aurait logiquement pu donner lieu à une représentation de l’architecte au moment où il achevait son grand œuvre (ce sera le modeste médaillon de Philippe Titeux qui commémorera l’événement). Il est bien connu que deux mois après cette cérémonie à laquelle il ne fut pas convié, Louis quitta Bordeaux plein d’amertume (6 juin 1780) pour n’y revenir que pour deux brefs séjours en 1786 (janvier et novembre). Il est plus vraisemblable que Lacour ait portraituré Louis en 1774 au moment où celui-ci venait de l’emporter sur son concurrent François Lhote et que son projet modifié par l’idée de la colonnade, avait pris une ampleur qui satisfaisait son ambition et sa fierté. De son côté, Lacour qui, cette même année, revenait de Rome bien décidé à s ‘imposer à Bordeaux, avait intérêt à s’attirer la considération de l’architecte lequel se préoccupait de trouver un peintre pour le plafond de sa salle de spectacle. On sait que Lacour participa au concours et que, sans doute pour forcer le sort, il exposa son esquisse au Salon de l’Académie de Peinture, Sculpture et Architecture qui se tint à la fin du mois d’août sous les galeries du palais de la Bourse. Outre son esquisse pour le plafond, il présenta plusieurs sujets dans tous les registres et en particulier « plusieurs portraits sous le même numéro ». Le portrait de Louis figurait-il dans ce lot ? Rien de moins sûr. En tous cas, Louis ne retint pas l’allégorie courtisane de Lacour célébrant la gloire du maréchal-duc de Richelieu et, le moment venu, c’est à Robin, son ami personnel, qu’il confiera le soin de décorer sa coupole. Ce revers a pu refroidir les relations entre les deux hommes si tant est qu’ils furent jamais proches ce dont on peut douter si on se souvient que l’architecte n’appréciait guère les artistes locaux et si l’on remarque que dans ses Notes et souvenirs d’un artiste octogénaire, Lacour fils, très attentif à inventorier les relations de son père, ne cite pas Victor Louis dont le nom n’apparaît pas dans ses mémoires. Il serait tentant dans ces conditions de proposer la date de 1774 dans la période entre février (second projet de Louis pour le théâtre) et août (exposition et rejet du plafond de Lacour) qui marqua sans doute la fin des brèves relations entre l’architecte et le peintre.
Lacour cadre Victor Louis à mi-corps dans une présentation qui réunit tous les codes permettant, au premier coup d’œil, de reconnaître sa condition. Certes, le décor est absent et le modèle se détache sur un fond neutre selon un procédé qui commence à s’imposer à partir des années soixante-dix et qui donne à la composition un ton moderne, celui de la mode. En revanche, les accessoires disent l’activité du sujet et témoignent de sa réussite. Le bureau sur lequel on reconnaît le compas, la corbeille qui contient habituellement les outils du dessinateur, le mouchoir à carreaux en usage pour s’essuyer les mains, désignent un architecte. Le dessin du péristyle du Grand Théâtre exhibé avec une insistance un peu naïve, l’identifie. La tenue révèle sa position sociale celle, en tous cas, qu’il revendique. Le col ouvert, sans cravate, est d’usage chez les intellectuels et les artistes mais il est associé à la perruque poudrée, courte, à rouleaux, qui révèle sa prétention à appartenir au monde des personnes de qualité. Enfin la riche robe de chambre de taffetas de soie moirée affiche sa prospérité ou pour le moins son aisance.
La pose de Victor Louis est assurée mais convenue et un peu figée ; les traits du visage dessinés avec soin et la main épaisse sont d’un personnage commun mais le regard est franc et assuré. La séduction du portrait vient de sa palette fraiche, du visage et de la main bien en lumière et des belles couleurs du costume, la robe de chambre lilas, aux tons changeants, que rehausse le jaune bouton d’or de la doublure révélée par le revers du large col et un bout de manche négligemment retourné. Les taches blanches de la perruque, du col, de la marge du dessin, du mouchoir s’équilibrent pour éclairer encore davantage la toile. Au total un portait qui témoigne autant des qualités que des limites du talent de Lacour portraitiste mais qui présente un caractère documentaire exceptionnel.
Robert Coustet
Bibliographie
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