Charles Jean-Baptiste Colson, Portrait de Jean Landard et de son fils Pierre, Bordeaux, 1856.
Huile sur toile. H. 160 cm avec cadre, L. 127 cm avec cadre.
Inscriptions : signature et date en bas à gauche : Ch. Colson Bx 1856.
Provenance : acheté en 2012 à la galerie l’Horizon Chimérique, Bordeaux.
Don des Amis du musée d’Aquitaine en 2012.
Inv. 2012.1.1

 

Fils de militaire, Charles Colson naquît le 15 août 1810 à Strasbourg. Il entra à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris le 17 mai 1827 où il fut l’élève du baron Gros qui avait repris en 1816 l’atelier de David, exilé à Bruxelles, mais restait soumis à cette figure tutélaire qui l’avait toujours engagé à rester dans la voie de l’idéal.Lors de l’hiver 1837, il s’embarqua pour la Nouvelle-Orléans comme de nombreux artistes français qui partaient tenter leur chance dans le Nouveau Monde, particulièrement en Louisiane où la communauté française entretenait des liens étroits avec Paris. La prospérité de la Nouvelle-Orléans, qui connut un grand essor commercial dès les années 1820, générait une demande très importante de portraits. Les riches propriétaires de plantation, les financiers, les commerçants… tous souhaitaient avoir leur portrait réalisé par des peintres français. L’un des premiers fut Jean-Joseph Vaudrechamp (1790-1866), élève de Girodet qui, entre 1831 et 1839, passa sept hivers à la Nouvelle Orléans où il devint l’un des plus grands portraitistes de la région. Il fut rejoint par Adolphe Rinck (1802-1895), qui s’y installa de 1840 à 1870, ou encore Jacques Amans (1801-1888) qui lui aussi, après un premier séjour, y retourna en 1837 et s’y installa  menant une carrière de portraitiste reconnu, jusqu’à son retour définitif en France en 1858. Colson y séjourna pendant l’hiver 1837, saison où les propriétaires de plantation et les marchands s’installaient dans leur maison de la Nouvelle-Orléans. Le Louisiana State Museum conserve deux portraits datés de 1837, M. Carti et une Créole lady, en tenue de bal, perdue dans ses pensées. Dans ces œuvres, Colson s’éloigne de la manière néo-classique de ses condisciples pour un style plus doux et plus sentimental reflétant avec élégance et un grand souci du détail les vêtements, les bijoux et le mode de vie de ses modèles. Il ne semble pas qu’il ait fait d’autres séjours en Louisiane.

 

De retour en France, il travaille à Paris entre 1837 et 1851 et expose au Salon. Il apparaît ainsi domicilié 12, rue Jean-Jacques Rousseau (1er arrt) lorsqu’il présente trois portraits d’homme au Salon de 1838 puis à des adresses différentes en 1839 et 1841. Les modèles n’étant désignés que par leurs initiales, ces catalogues ne permettent pas de mieux connaître son œuvre. En février 1840, il envoya deux portraits dont celui de M. de la Forest, consul général de France à New York, à l’exposition de l’Apollo Association for the promotion of Fine Arts in the U-S à New-York. Il peignit à Agen dans les années 1840. Le musée des Beaux-Arts d’Agen conserve le portrait d’Adrien Donnodevie à l’âge de 19 ans, signé et daté C. Colson, 1839 et le portrait de M. Menne, signé et daté Ch. Colson, Agen 1843-1857. Celui de Bordeaux possède un portrait de femme, signé et daté Ch. Colson, Agen 1847. Parallèlement, domicilié à Paris, 44, rue Vivienne, il expose deux portraits de femme au Salon de 1845 et quatre portraits à celui de 1846 dont le portrait de Fréderic Gaillardet et le portrait de Marc Constantin. En 1847 il présente trois portraits d’homme, M. L Royers du Bisson, M. T, capitaine d’état-major et M. Hébert que A. H. Delaunay, rédacteur du catalogue et rédacteur en chef du Journal des Artistes, commente ainsi : « de la conscience comme toujours ». Au Salon de 1848, il est toujours parisien, habitant au 30, rue Saint-Lazare, et présente trois portraits de famille, M. Colson fils, Mme Charles Colson, M. Charles Colson mais en 1850, lorsqu’il présente le portrait de Mlle de L.H., il semble vivre de nouveau entre Agen et Paris où il est domicilié chez M. Debourge, 46, rue de l’Arbre Sec. Il a ainsi mené pendant plusieurs années une double carrière, se partageant entre les deux villes,  mais peu de ses œuvres sont entrées dans les collections publiques. Le tableau du musée d’Aquitaine, réalisé en 1856 à Bordeaux, est suivi quelques années plus tard d’œuvres exécutées à Narbonne : le portrait de M. Coussières ainé, ancien négociant et bienfaiteur du musée, daté de décembre 1858, que l’artiste offre au musée de Narbonne et deux tableaux représentant une femme élégante et un homme élégant, vendus à la Nouvelle-Orléans en février 2003 (Neal Auction Company), signés et datés Ch. Colson, Narbonne 1859.

 

Ce portrait en demi-grandeur présente Jean Landard, âgé de 52 ans (il est né en 1804), le corps de trois-quarts et le visage de face. La pose est informelle, une main dans la poche, l’autre serrant la main de son jeune fils Pierre, né en 1850 de son union (1844) avec sa cousine germaine Catherine Roy qui lui avait déjà donné deux filles. Le large front aux golfes temporaux dégarnis et entouré de boucles de cheveux un peu désordonnées, les yeux enfoncés sous les épais sourcils légèrement froncés, Jean Landard nous regarde avec attention. Le peintre a rendu avec précision et réalisme les larges pommettes, le nez charnu, le modelé des chairs, le léger empâtement de la partie inférieure du visage, l’ombre de la barbe naissante et la bouche aux lèvres minces et serrées au-dessus du menton volontaire. Il est vêtu d’un costume noir dont l’allure stricte est atténuée par les reflets de la doublure et par la position de la main dans la poche qui froisse le pan de la veste, créant l’ondulation des plis. Seul élément clair, la chemise blanche à plastron dont le col relevé est en grande partie caché par la cravate de soie noire brillante, à pointes courtes, enroulée deux fois autour du cou. Sur la chemise, il porte un gilet à col châle dont le noir profond semble indiquer qu’il est en velours.

 

Des rehauts or et rouge matérialisent la barrette de la chaine de montre fixée sur la poche-gousset et apportent une touche de lumière. Rares sont ceux qui, comme Théophile Gautier, défendent ce vêtement austère si décrié par les artistes et les critiques qui le jugent terne et impropre à tout effet : « Statuaires et peintres se plaignent de cet état de choses qu’ils pourraient, non pas changer, mais modifier à leur avantage. Le costume moderne les empêche, disent-ils, de faire des chefs-d’œuvre ; à les entendre, c’est la faute des habits noirs, des paletots et des crinolines, s’ils ne sont pas des Titien, des Van Dyck, des Velasquez… Notre costume est-il d’ailleurs si laid qu’on le prétend ? Par sa coupe simple et sa teinte neutre, il donne beaucoup de valeur à la tête, siège de l’intelligence et aux mains…. Point d’or, ni de broderies, ni de tons voyants ; rien de théâtral : il faut qu’on sente qu’un homme est bien mis, sans se rappeler plus tard aucun détail de son vêtement. » De la mode, L’Artiste, tome III, 1858, p. 168-171.

 

Jean Landard tient la main de son fils qui  pose un peu raide à ses côtés et nous fixe de ses grands yeux bien ouverts sous la courbe douce des sourcils qui se prolonge avec l’arête du nez. La petite bouche est délicatement ourlée et le menton semble déjà bien volontaire. Sur une chemise blanche, dont seuls le col et une partie de la manche sont visibles, Pierre âgé de 6 ans porte l’un des costumes réservés à l’âge intermédiaire entre la petite enfance, jusqu’à 5 ans environ,  et l’âge d’arborer une veste : une blouse à galons, ceinturée, inspirée du folklore russe. Il serre dans la main un marteau, rappel du métier de constructeur de navires transmis dans sa famille.

 

En effet, le père de Jean Landard, prénommé également Jean (comme son père avant lui), avait été charpentier de navire avant de devenir constructeur de navires. Lorsqu’il prit sa retraite en 1838, il céda tous ses biens et son entreprise à son fils ainé Jean, à charge pour lui de dédommager ses  six frères et sœurs. Celui-ci dirigea un chantier prospère et, lorsqu’il pose avec son fils en 1856, ce double portrait est l’affirmation de la filiation et de la continuité par la transmission du patrimoine à son fils qui lui succèdera. Il est troublant de  penser que Jean Landard mourut subitement l’année suivante, le 21 mai 1857, à 53 ans, laissant la direction de l’entreprise à sa femme, aidée par ses beaux-frères. Hélas, rapidement en proie à des difficultés financières, elle fut contrainte de vendre certains de ses biens. Le chantier fermera en 1872. Jean Landard et son fils posent sur les bords de la rive droite de l’estuaire de la Gironde. Les actes d’état civil nous indiquent qu’il a toujours vécu et qu’il est mort dans sa maison natale du Rigalet (commune de Gauriac). En 1830, son père y avait acheté des terrains en bordure de fleuve, pour construire des cales de carénage avant d’établir une nouvelle cale, en 1836, en face d’une propriété lui appartenant, à quelques kilomètres, à la Roque-de-Thau, toujours sur la même commune. De nombreux petits ports pour les bateaux de transport de marchandises ou pour les bateaux à vapeur qui circulaient  entre Bordeaux et Blaye ou les îles, ainsi que des chantiers navals, étaient installés le long du fleuve. Il est probable que le modèle s’est fait représenter devant l’une de ses propriétés et qu’il pose, par une journée ensoleillée, près des berges limoneuses de la Gironde avec au loin, l’étroite bande de terre de l’île du Nord qui s’étire entre ciel et fleuve.

 

Un ballon, retenu au sol, apparaît dans l’angle droit du tableau derrière un pilier métallique posé sur des madriers. Jean Landard s’était-il lancé dans la fabrication des aérostats ou volait-il en amateur ? Au XIXe siècle, Bordeaux connut une véritable passion pour le vol en ballon. Le caractère scientifique de l’aérostation de la fin du siècle précédent avait laissé place à un véritable spectacle donné le plus souvent au Jardin Public. Dès les années 1820, ce spectacle populaire fut aussi présenté  dans des jardins, des établissements de plaisir (Vincennes, les Champs-Elysées, Plaisance), des théâtres, des hippodromes ou des cirques, et devint une véritable entreprise commerciale qui connaitra son apogée entre 1842 et 1852. A côté de ces vols toujours plus acrobatiques pour attirer les foules avides de sensations fortes, les amateurs pratiquaient des baptêmes de l’air, des ascensions libres ou en ballon captif (le ballon reste retenu au sol par des câbles qui permettent de le manœuvrer), évènements relatés avec force détails dans le Mémorial Bordelais. Dès les années 1840, le public s’élargit et ces ascensions connurent un grand succès à la campagne. Le vol en ballon faisait partie de la fête avec le bal et le feu d’artifice mais il pouvait être aussi au centre des réjouissances lors de la venue d’aéronautes célèbres. Ainsi, si cette représentation de ballon n’a rien d’étonnant, le lien exact avec Jean Landard est difficile à préciser. Dans les actes officiels, il est toujours qualifié de constructeur maritime. Par ailleurs, la fabrication des aérostats était encore très artisanale. Ils étaient généralement réalisés par l’aéronaute lui-même et l’industrialisation n’apparaitra vraiment que sous la IIIe République. Jean Landard était-il un amateur, intéressé par la science et volant pour son agrément, qui aurait construit ou fait réaliser son propre ballon ? Le milieu du XIXe siècle est l’époque des premiers voyages aériens pratiqués en amateur mais encore accompagnés d’un pilote professionnel et ce nouveau sport avait séduit une bourgeoisie bordelaise aisée disposant de temps et de moyens financiers importants, le coût du matériel aérostatique étant très élevé.

 

Ce portrait est mis en valeur par un imposant cadre en bois doré. Les coins sont décorés de cartouches ajourés portant des coquilles ornées de cabochons dans le centre, d’inspiration Louis XV, dont s’échappent des rinceaux fleuris. Ces éléments en fort relief sont exécutés en pâte anglaise estampée dans des moules puis sont collés sur le cadre en bois et dorés. Entre ces motifs, des ramages et des fleurs gravés de style Louis XIII se déploient sur la moulure en doucine. Un frise de petites feuilles et palmettes souligne le bord interne du cadre.

 

© Catherine Bonte

Colson a peint son modèle scrupuleusement mais sans emphase, réussissant à traduire, au-delà du portrait bourgeois, une atmosphère familiale et l’attitude protectrice du père. La précision du portrait s’oppose au flou du paysage. A gauche, les frondaisons aux feuilles à peine esquissées, sont traversées par le soleil qui fait des tâches de lumière sur le sol et l’île du Nord est évoquée, au-delà des tons bleutés du fleuve, par des traits rapides gris-bleu. Cette manière floue fait apparaître de façon d’autant plus nette l’homme et l’enfant observés avec réalisme et finesse. Le visage du père est peint avec soin et Colson a su rendre sensible le caractère d’un homme posé et réfléchi, bon gestionnaire de ses biens, fier de sa réussite sociale et de son aisance matérielle mais aussi curieux et s’intéressant à l’aéronautique, comme en témoigne la présence du ballon. A ses côtés, Pierre a les rondeurs et la fraicheur de l’enfance mais semble un peu figé, le visage sérieux, apparaissant à la fois intimidé mais fier de poser près de son père, ce qui rend la scène attendrissante. Les vêtements sont peints avec un grand souci du détail et la texture des étoffes est rendue avec justesse. Charles Colson réalise avec sensibilité, un portrait sobre, naturel et en même temps très touchant, document de qualité pour illustrer la société bourgeoise bordelaise du Second Empire.

 

C.B.

 

Bibliographie

 

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