Raoul Larche (1860-1912), Bacchante, vers
1910.
Bronze, H. 63 cm, L. 45 cm.
Inscriptions :
- autour du buste : JE RIS, JE CHANTE, VIVE LE VIN
- en bas, à droite : signature : RAOUL LARCHE
- en bas, à gauche : cachet rectangulaire du fondeur Siot-Decauville : CIRE PERDUE SIOT
Provenance : acheté en 2011 à la galerie l'Horizon Chimérique,
Bordeaux.
Don des Amis du musée d'Aquitaine en 2011.
Inv. 2012.1.3
© Catherine Bonte
Fils d'un ébéniste, Raoul Larche naquît le 22 octobre 1860 à Saint-André-de-Cubzac mais très tôt, sa famille décida de s'installer à Paris. Alors qu'il poursuivait sa scolarité à l'école des Francs-Bourgeois, son professeur de dessin remarqua son talent et, après un bref séjour à l’École Supérieure des Arts Décoratifs, Raoul Larche fut admis en août 1877, à dix-sept ans, à l'école des Beaux-Arts. Il y suivit les cours de François Jouffroy (1806-1882) jusqu'en 1881 puis ceux de son élève, Alexandre Falguière (1831-1900) jusqu'en 1888. Il fut également l'élève de Dumont et assiste aux cours de modelage d'Eugène Delaplanche (1836-1891) ainsi qu'à l'enseignement du peintre Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Il obtint le second Grand Prix de Rome en 1886, avec Tobie retirant le poisson de l'eau qui fut envoyé, à sa demande, au musée des Beaux Arts de Bordeaux.
Si Larche est surtout connu pour ses talents de sculpteur, c'est en tant que peintre qu'il débuta et il peindra abondamment toute sa vie parallèlement à sa carrière de sculpteur. Il débuta avec une toile représentant sa grand-mère, en 1881, au premier Salon des Artistes Français où, en 1886, il présentera sa première sculpture grandeur nature, Lucrezia e Philippo Lippi. Il participa à plusieurs concours nationaux dont, à Bordeaux, celui pour le Monument aux Girondins en 1887 et celui pour la Fontaine Amédée Larrieu en 1897, en collaboration avec son frère Edouard, architecte. Leur projet sera primé et classé à la troisième place. Si plusieurs de ses œuvres monumentales furent achetées par l’État et la Ville de Paris dont il reçut des commandes officielles, il travailla aussi pour l’Église, des particuliers et, dès 1880, pour la Manufacture de Sèvres. La statuaire d'édition lui permit de diffuser abondamment les œuvres tirées de ses sculptures ou créées à cet effet en un nombre considérable d'objets, lampes, encriers, vide-poches, coupes.... En 1890, son Jésus enfant devant les docteurs marqua sa première collaboration avec le fondeur-éditeur Siot-Decauville à qui il confia, en 1900, l'édition de la lampe en bronze doré représentant la muse de l'Art Nouveau, la danseuse américaine Loïe Fuller, le corps enveloppé de voiles vaporeux et ondoyants d'où surgit son visage délicat. Cette œuvre connut un immense succès et lui assura une grande notoriété. Après sa mort accidentelle en 1912, sa femme proposa de faire une donation d'œuvres de son époux à la ville de Bordeaux à condition qu'une salle Raoul Larche soit créée dans le musée de Peinture et Sculpture. Cette salle, inaugurée le 5 décembre 1921, sera fermée au début des années 30.
Les lèvres charnues, entrouvertes, laissent voir les dents de façon très réaliste. La rondeur du modelé des épaules où retombent quelques mèches, la plénitude charnelle de la poitrine largement découverte sont mises en valeur par le contour denté des feuilles de vigne et le fort relief des grains de raisin et des pétales de la rose. Tout est propice aux jeux d'ombre et de lumière, le visage expressif où le rire fait saillir les pommettes et creuse les joues de profonds sillons, les muscles du cou bien individualisés, la clavicule nettement dessinée, la chair qui garde la touche irrégulière et vibrante de l'ébauche en terre. Ces ombres et reflets de la surface de bronze traduisent bien l'instant suspendu et la spontanéité. Comme cela a été abondamment souligné par ses contemporains, l’œuvre de Raoul Larche, est empreinte de son goût pour le XVIIIe siècle ; ainsi lorsqu’il réalise le visage de La Sève (1893, don Larche), il reprend un portrait de Houdon, Madame Houdon (1786, Louvre) dont le sourire naturel et le mouvement joyeux annonçaient les bacchantes de Carpeaux. Le bronze du musée d’Aquitaine présente d'étroites affinités avec les bustes des multiples déclinaisons des figures de La Danse de l'Opéra (1869), en particulier avec celui de La Bacchante aux vignes : visage enjoué au large sourire d'une jeune femme emportée dans un mouvement de danse portant la même rose à la naissance de la poitrine dénudée dont un sein est à peine dissimulé d'une draperie légère par Carpeaux et d'une feuille de vigne par Larche. La jeunesse, le mouvement, l'énergie animent ce bronze dans la lignée de ses allégories de la Nature qui sont autant de prétextes à la représentation de corps nus intimement liés à la végétation. Les critiques de l'époque sont parfois dures : " M. Larche et M. Daillou ont campé quelques nobles silhouettes de modèles déshabillés qui s'appellent Messidor, le Printemps, la Prairie ; mais il m'est bien impossible de me souvenir laquelle est Messidor, laquelle est la Prairie, laquelle est le Printemps...." (P. Vitry, 1905, p.18) Il n'y a en effet, aucune recherche psychologique dans ce visage rieur. Si, dans certaines œuvres, Larche s’intéresse à l'expression des sentiments et aux mouvements de l'âme comme dans le visage inspiré de l'Apôtre (1902, jardin de l'Hôtel de Ville de Bordeaux) ou celui de Jeanne d'Arc (1909, La Madeleine, Paris), la femme n'est pour lui, le plus souvent, que l'expression de l'énergie et du renouveau de la Nature. L'attitude enjouée de cette jeune femme, son visage épanoui dans une douce euphorie, célèbrent un plaisir sensuel, celui de la dégustation du vin.
© Catherine Bonte
Larche avait déjà abordé le thème de la bacchante, dès 1900, dans la statuaire d'édition, avec un élégant petit groupe, bacchante jouant avec un enfant. Cependant aucune sculpture susceptible d'avoir inspiré ce relief n'est connue et seule une mention dans le catalogue de l'Exposition des œuvres Raoul Larche, statuaire et peintre et de Raymond Sudre, statuaire et peintre, en 1932, signale au n° 105, une Bacchante, médaillon de terre-cuite. La générosité des formes, la vivacité de l'attitude, l'exubérance et l'étroite liaison avec la végétation évoquent les figures du bassin conçu pour la cour du Carrousel puis placé devant le Grand Palais, La Seine et ses affluents, qui lui valut la Médaille d'Honneur du Salon de 1910 et marqua l'apogée de sa carrière. Ces éléments se retrouvent également dans sa dernière œuvre présentée au Salon de 1912, La Floraison.
© Catherine Bonte
En bas à droite, le bronze porte la signature de Raoul Larche. A gauche, le cachet rectangulaire portant l'inscription cire perdue SIOT, indique le procédé utilisé, la cire perdue qui permet d'obtenir une épreuve unique ainsi que le nom du fondeur, Siot, à qui Larche confia la fonte et l'édition de la quasi totalité de ses œuvres. En 1908, à la mort du fondateur Edmond Siot, son fils Paul reprit la direction de la maison Siot-Decauville qui s'était fait une spécialité de patines colorées dont la gamme se déclinait en "vert Barye", "patine giroflée", "patine herbeuse"...mais dont les amateurs commencèrent à se lasser dès les années 1900. Il semble que ce soit au moment de la succession, vers 1906-1908, que la fonderie commence à travailler à la cire perdue mais trop tard pour changer son image. Paul Siot démissionna en 1926 et l'entreprise cessa son activité. Le tirage en fonte peut donc se situer dès la fin de la première décennie du XXe siècle mais il ne suit pas forcément la création du modèle qui est seule retenue pour dater l’œuvre.
Cette bacchante, allégorie de la générosité du vignoble et des plaisirs du vin, créée par Raoul Larche dans les dernières années de sa vie, décora longtemps une demeure de la région bordelaise avant de venir enrichir les collections du musée d'Aquitaine et prendre place dans la salle consacrée au vin de Bordeaux.
C.B.
Bibliographie
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Catalogue de la vente de l'Atelier de Raoul Larche, 14 juin 1937, Hôtel Drouot.
De Carpeaux à Matisse. La sculpture française de 1850 à 1914 dans les musées et les collections publiques du Nord de la France, Edition de l'Association des Conservateurs de la Région Nord-Pas-de-Calais, Lille, 1982.
Exposition des œuvres de Raoul Larche statuaire et peintre et de Raymond Sudre, statuaire et peintre, 57 rue Chardon-Lagache du 1er au 31 décembre 1932.
Helbronner, Evelyne, Catalogue raisonné des sculptures du XIXe siècle (1800-1914) des musées de Bordeaux, 7 vol., thèse de doctorat sous la direction de Bruno Foucart soutenue à l'Université Paris-Sorbonne, 2003.
Kjellberg, Pierre, Les Bronzes du XIXe siècle, Dictionnaire des sculpteurs, Les éditions de l'Amateur, 2005.
"La sculpture au Salon des artistes français. Rétrospective de l'œuvre de Raoul Larche" in Le Monde illustré, 29 mai 1920, p. 34.
La sculpture française au XIXe siècle, Grand Palais, 10 avril-28 juillet 1986, RMN, Paris, 1986.
Lebon, Élisabeth, Dictionnaire des fondeurs de Bronzes d'Art, France 1890-1950, Marjon éditions, Perth (Australie), 2003.
Lebon, Élisabeth, Le fondeur et le sculpteur, Paris, Ophrys, 2011.
Renoux, Dominique, " Raoul Larche, statuaire (1860-1912) ", in Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français, 1989, (p. 243-276).
Vitry, Paul, "La sculpture aux Salons" in Art et Décoration, juillet-décembre 1905, t. XVIII, Paris, (p. 14 à 24).