Ex-voto offert par l'équipage de l'Elisa, 1821.
Huile sur toile. H. avec cadre 57 cm. L. avec cadre 75 cm.
Inscriptions en écriture cursive : en haut, à droite, soulignée d'un trait : Ex voto; en bas : vœux fait par L'Equipage du navire L'Eliza de Bordeaux, Armr.Mr.Hy.Dagassan, Cape.Jn.Hy. Lagarigue se trouvant Engagé le 4 Janvier 1821 par un afreux coup de mer ; fuyant, a sec de toille ; sur le ban de Aiguilles ; pre du cap de bonne Esperance, par le 35 Degrés de latitude Sud, & par 20 degrés 27. Minute de Longitude Orientale. Meridien de Paris.
Provenance : acheté en 2011 à la galerie l'Horizon Chimérique, Bordeaux.
Don des Amis du musée d'Aquitaine en 2011.
Inv. 2012.1.2
© Mairie de Bordeaux, B. Fontanel
Malmené par une mer furieuse, blanche d'écume, le trois-mâts semble sur le point d'être submergé par les vagues. Dans l'angle supérieur gauche, l'apparition céleste de la Vierge à l'Enfant, assise sur un nuage, dans un nimbe doré, illumine le ciel d'orage. A droite, l'inscription ex-voto précise la nature du tableau. L'espace dédicatoire, clairement démarqué, est important et occupe presque un-cinquième du tableau. Rédigé en blanc sur fond noir pour être lisible de loin, il renseigne précisément sur les circonstances du drame.
Ex-voto suscepto, "en conséquence d'un vœu par lequel on s'est engagé", ce tableau commémore une grâce obtenue. Cette tradition ancienne, antérieure au christianisme, peut revêtir différentes formes, de l'édification d'un édifice à l'offrande d'un retable, d'une statue ou de dons plus modestes de tableaux, de formes anthropomorphes de membres malades, de maquettes de navire puis, à la fin du XIXe siècle, de plaques de marbre portant une formule de remerciement pour une guérison ou un péril évité. La tradition votive est très présente chez les marins qui affrontent quotidiennement les périls de la mer. Elle témoigne de la ferveur des hommes qui, dans des situations humaines, se trouvent démunis devant des difficultés sur lesquelles ils n'ont pas de prise et demandent secours, le plus souvent à la Vierge, Stella Maris, protectrice des marins mais aussi à des saints protecteurs ou au Christ.
L'ex-voto n'est ni consacré, ni béni mais voué et déposé dans un sanctuaire, il appartient ainsi au domaine du sacré. Il immortalise le moment de l'intervention céleste en reproduisant la scène avec une précision qui l'authentifie aux yeux des fidèles et prouve la puissance de l'aide surnaturelle, le miracle mais aussi l’accomplissement de la promesse. Dès son retour à terre, le marin réalise son vœu car il ne peut reprendre la mer avant d'avoir remis l'ex-voto et lorsque le vœu est collectif, c'est tout l'équipage qui se rend en priant et en chantant en procession au sanctuaire, avec les familles, pour y déposer le tableau qui sera accroché au mur.
Stendhal décrit dans Bordeaux (1838), la rencontre qu'il fît le 15 mars 1838 : « Ce matin à 10 heures, comme je sortais, j'ai rencontré six hommes et un enfant qui marchaient au milieu de la rue d'un air grave, pieds nus et la tête découverte, en marmottant des prières. J'ai cru avoir affaire à un enterrement et, pour détourner le mauvais augure, je me suis hâté de rebrousser chemin. Mais je n'ai point aperçu de bière et j'ai demandé de quoi il s'agissait à une femme qui filait tranquillement sur sa porte. - Ce sont de marins qui ont fait un vœu m'a-t-elle répondu d'un grand sang-froid. Alors j'ai suivi...cette procession...jusqu'à l'église de Saint-Dominique, où j'ai appris que ces marins appartenaient au brick l’Élisa qui, dans les derniers gros temps, a été sur le point de se perdre. Se voyant dans un extrême danger, ils firent un vœu qui les a sauvés.»
Cet ex-voto a été offert par l'équipage du trois-mâts, l’Élisa. Ce navire, accompagné du nom de l'armateur et du capitaine, est mentionné dans le manuscrit de René Lafon, Les principaux armateurs bordelais sur les Antilles, sur les Indes et dans les mers du Sud (1815-1869) : en 1820, « M. H. et J. Dagassan arment le trois-mâts l’Élisa, cap. Lagarrigue, pour les îles de France et Bourbon » soit l'Ile Maurice et La Réunion d'où les navires rapportaient sucre, café, girofle, miel vert, coton... L'année suivante, l’Élisa sera armé pour l'île Bourbon mais sous le commandement du capitaine Laguerie. Ensuite, la dédicace précise la date, le 4 janvier 1821, et les circonstances.
Le navire est engagé par un coup de mer c'est à dire surpris par une forte rafale, une vague déferlant par-dessus le bateau, il doit donc fuir à sec de toile, en gouvernant de façon à recevoir le vent ou la lame par l'arrière, assez vite pour qu'elle ne le submerge pas et sans aucune voile dehors. Enfin la localisation géographique situe la scène au point le plus méridional du continent africain, au sud du Cap de Bonne-Espérance, au Cap des Aiguilles où se rejoignent les puissants courants contraires de l'Océan Atlantique et de l'Océan Indien qui rendent la navigation dangereuse. Ce souci d'authenticité se retrouve dans la description précise des gréements ou des voiles enverguées. Le pont du navire est vide de toute présence humaine loin de l'agitation qui régnait sur le pont dans les ex-voto marins du siècle précédent où l'équipage, invoquant l'intervention divine, était généralement peint dans des attitudes théâtrales très vivantes.
© Catherine Bonte
Si, sur cette toile, la Vierge à l'Enfant semble impassible, un peu extérieure au drame, cette apparition céleste peut aussi être traitée de façon plus vivante et plus familière. Sur de nombreux ex-voto du sanctuaire de Verdelais, l'Enfant tend les bras vers le bateau et semble vouloir échapper aux bras de sa mère pour porter secours aux marins et parfois, en Provence, la Vierge n'hésite pas à attraper le beaupré du navire pour le redresser. Comme de nombreux ex-voto, ce tableau n'est pas signé.
© Catherine Bonte
Les votants, quand ils n'exécutaient pas eux-mêmes la toile, s'adressaient à des ornemanistes artisans, à des peintres d'enseigne ou de trumeaux, à des "peintres de piété" itinérants mais aussi à des peintres de marine, spécialistes de "portraits de navires", qui étaient les plus à même de représenter avec exactitude les bateaux. Quelque soit l'exécutant, la composition est toujours simple et obéit à des codes iconographiques précis. Le navire occupe le centre de la toile et le registre céleste qui occupe, dès le début du XIXe siècle, une surface assez réduite, est délimité par le nimbe doré et réduit à l'apparition divine. L'image est claire et son sens peut être compris de tous. La facture est naïve mais l'angoisse étreignant les marins qui, se sentant perdus, ont imploré la Vierge, est bien suggérée par la fragilité du bateau luttant contre les puissantes vagues.
Cette description d'une situation profane, un navire en péril, acquiert un caractère religieux par la foi profonde des hommes en détresse qui se sont voués à la Vierge et offrent cet ex-voto en signe de gratitude, témoignant ainsi du miracle aux yeux de leurs contemporains.
C.B
Bibliographie
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Lafon, A. René, Les principaux armateurs bordelais sur les Antilles, sur les Indes et dans les mers du Sud (1815-1869), manuscrit, 2 vol., A.M. Fonds Jeanvrot, 40 S 41-42.
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