Kalamkari. Andra Pradesh, Inde, 1998.
Coton peint. H. 300 cm, L. 200 cm.
Provenance : acheté à Bérénice Ellena.
Don des Amis du musée d'Aquitaine en collaboration avec les Amis du musée des Arts Décoratifs en 1999 pour l'exposition "La Route des Indes. les Indes et l'Europe: échanges artistiques et
héritage commun, 1650-1850", présentée du 11 décembre 1998 au 14 mars 1999 au musée d'Aquitaine et au musée des Arts Décoratifs.
Inv. 2003.7.1
© Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
Dans un style narratif très vivant, 60 petits tableaux accompagnés de légendes en français et en hindi, retracent l'histoire de l'Inde de l'arrivée de Vasco de Gama à nos jours ainsi que ses rapports commerciaux avec Bordeaux et les grandes dates de l'histoire de France. Au centre, une carte de l'Inde et le blason de Bordeaux "de gueules à la Grosse-Cloche ouverte, ajourée et maçonnée de sable, sommée d'un léopard d'or ; à la mer d'azur, ondée de sable et d'argent, chargée d'un croissant aussi d'argent ; au chef d'azur, semé de France". Autour, les aventures de personnages hauts en couleurs comme Augustin Hiriard se mêlent aux grands évènements historiques, aux scènes de bataille ou de marché selon le projet conçu par sa commanditaire, Bérénice Ellena à l'occasion de l'exposition "La Route des Indes".
Cette artiste d'origine bordelaise, styliste, costumière et photographe, se définit comme une "nomade, collectionneuse d'éphémère". Grande voyageuse, elle a parcouru le monde et s'est passionnée pour l'Inde ; sa quête des techniques traditionnelles de tissages et de teintures naturelles l'a menée dans les villages du sud où les artisans connaissent encore l'art ancestral du kalamkari. De cette rencontre et de son désir de faire connaître le travail de ces artisans est née la commande du kalamkari de Bordeaux sur le thème des liens historiques noués avec l'Inde. En 2004, Bérénice Ellena en fera exécuter un second, pour le musée de l'Impression sur Etoffes de Mulhouse, racontant de façon très didactique la fabrication des indiennes sur la côte de Coromandel. Également auteur, en 2003, de l'ouvrage "Au fil de l'Inde, la route des arts textiles", elle vit depuis maintenant 4 ans à Delhi mais aime passer l'été dans sa maison bordelaise.
Le kalamkari, mot d'origine persane (kalam : pinceau, kari : à la main), désignant une étoffe de coton peinte à la main, est une forme d'art encore pratiquée aujourd'hui dans l'Andra Pradesh, autour du Sri Kalashati où plus de 300 personnes participent à son élaboration, de la fabrication du tissu de coton à la peinture des motifs. L'un des artisans les plus connus est le peintre Niranjan Chetty à qui Bérénice Ellena a confié la réalisation de ce kalamkari d'après ses propres dessins.
Il faut tout d'abord préparer la toile à recevoir la peinture. Le coton est lavé et blanchi avant de subir la première opération: il est plongé dans un bain de tanin à base de myrobolan mélangé à du lait de bufflonne qui sert de préparation de la toile et de mordançage. Puis elle est pliée et battue pour rendre la surface lisse et uniforme, prête à recevoir le trait et les couleurs. Sur la toile posée au sol, les contours sont dessinés au noir de charbon avec un pinceau, à main levée, avant l'application des couleurs. Le bleu est obtenu en plongeant le tissu dans un bain d'indigo, des réserves à la cire protégeant les parties destinées à recevoir d'autres couleurs. Pour la couleur rouge, la garance nécessite l'application préalable d'un mordant, l'alun, qui fixe la teinture. Mordant et colorant sont appliqués avec un pinceau. Entre chaque opération, la toile est lavée à grande eau dans la rivière et séchée au soleil.
Détail du kalamkari
1 - Vasco de Gama aborde Calicut en 1498, ouvrant ainsi la route directe des Indes en contournant le Cap de Bonne Espérance. Lorsqu'il débarque sur la terre indienne, il se met à genoux devant une statue de déesse hindoue s'imaginant que c'est la Vierge Marie.
© Marie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
toutes les photos sont de Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
2 - Scène de vendange en Gironde et Port de La Lune
3 - Michel de Montaigne (1533-1592).
4 - L'orfèvre bordelais Augustin Hiriard dit Austin de Bordeaux, obligé de quitter Londres en 1609 après avoir trompé la confiance de plusieurs princes avec de fausses pierres.
5 - Augustin Hiriard traverse l'Egypte.
6 - Augustin Hiriard arrive à Lahore en 1612 chez une famille d'Hindous.
7 - Les hommes de la famille meurent, leurs épouses deviennent "sati" en s'immolant sur le bûcher funéraire de leurs époux.
8 - Augustin Hiriard épouse une des orphelines qui devient chrétienne.
9 - L'empereur moghol Jâhangîr (règne : 1605-1627) commande un trône d'or, d'argent et de pierreries à Augustin.
10 - Son successeur, Shâh Jahân (règne : 1628-1658), lui commande un trône en or constellé de pierres précieuses l'année même de son avènement, le "trône du paon". Dans une lettre du 9 mars 1632 :"J'ai passé ces 2 années à Agra à dessiner les plans d'un nouveau trône que le roi m'a commandé avant de quitter Agra pour le Deccan. Le roi a demandé que 200 fois 100.000 livres soient dépensées pour ce trône en or, diamants, rubis, perles et émeraudes. Mais je doute qu'il en jouisse jamais. Sa cruauté et son avarice l'en empêcheront, car il est haï des grands comme des petits". ("Four letters of Austin of Bordeaux" in Journal of the Punjab Historical Society, Lahore IV, 1916, p. 3-17.)
11 - Augustin reçoit en récompense un éléphant, une escorte de cavaliers et des titres militaires.
12 - Shâh Jahân est emprisonné dans le Fort Rouge d'Agra par son fils Aurangzeb et y passe ses 8 dernières années jusqu'à sa mort en 1666 ; depuis sa prison, il contemple le Taj Mahal qu'il a fait construire pour y ensevelir son épouse bien-aimée Mumtaz Mahal.
13 - Poème de Wali (1667-1707), premier poète à composer des ghazals en langue urdu : "De toutes les quêtes de l'homme, celle de l'amour est la plus sublime, cet amour fut-il sacré ou profane".
14 - Louis XIV (règne : 1643-1715) devant le Parterre d'Eau de Versailles.
15 - La Compagnie des Indes Orientales, organisée par Colbert et créée en 1664 par Déclaration de Louis XIV avec statut de Manufacture Royale et tous les privilèges (monopole de la navigation et du commerce dans les Indes, les mers orientales et les mers du Sud pour 50 ans, concession à perpétuité des terres et places occupées avec tous les droits de seigneurie, droit de faire des traités, de déclarer la guerre....). Lorsqu'elle fusionne en 1719 avec la Compagnie d'Occident de J. Law, elle en reprend le blason "de sinople à la pointe ondée d'argent sur laquelle sera couché un fleuve au naturel appuyé sur une corne d'abondance d'or ; ayant deux sauvages pour supporter et une couronne tréflée". Sa devise : Florebo quocumque ferar ( Je fleurirai là où je serai portée).
16 - Débarquement des Français et des Jésuites à Pondichéry où la Compagnie des Indes Orientales installe son siège en 1676.
17- Découverte des rues de Pondichéry avec leurs artisans tisserands, teinturiers, imprimeurs.
18 - Le commerce s'établit. Le vin de Bordeaux est débarqué à Pondichéry. Les Français y achètent toiles indigotées, indiennes et madra
19 - Le chevalier de Pardaillan reprend aux Anglais le comptoir de Mahé en 1725.
20 - Le navire de la Compagnie des Indes Orientales et sa cargaison de cauries, toiles indigotées et poivre.
21 - Les bordelaises achètent madras, guingans (toiles de coton blanches) et indiennes.
22 - Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755) à côté de son château de La Brède avec une citation : "les hommes naissent et demeurent égaux en droit", inspirée de L'Esprit des Lois, VIII, chap. III : "Dans l'Etat de nature, les hommes naissent bien dans l'égalité ; mais ils n'y sauraient rester. La société la leur fait perdre et ils ne redeviennent égaux que par les lois."
23 - Carte de la Traite des Noirs.
24 - Les noirs sont échangés contre des toiles indigotées, des madras et des cauris, monnaies-coquillages couramment utilisées en Afrique.
25 - Dans une plantation, les esclaves récoltent les cannes à sucre qui seront écrasées pour en extraire le vin de canne ou vesou ; après plusieurs opérations, c'est le sucre qui sera servi sur la table des colons.
26 - 27 - Non loin de Pondichéry, Charles Joseph de Bussy, marquis de Castelnau (1718-1785) défend les couleurs du Nizam d'Hyderâbâd ; à la fin de sa vie il sera Gouverneur des Etablissements Français des Indes.
28 - Bussy parti, un autre Français devient conseiller militaire du Nizam d'Hyderabad, le général gascon Michel Raymond (1755-1798) ou Raymond Gascogne que l'on appelait aussi Musa Ram. Très populaire, il sut gagner la sympathie de tous par sa gentillesse et sa bravoure.
29 - Il est empoisonné par un espion britannique....
30 - ...puis porté en terre selon les rites chrétiens.
31 - Quelques années plus tard, on lui élève un mausolée qui existe toujours à Hyderâbâd.
32 - En 1800, le nizam d'Hyderâbâd devient un protectorat britannique et le drapeau flotte entre les minarets de Châr-Minâr au centre d'Hyderâbâd.
33 - La Révolution française. Émeute du 5 octobre 1789, la foule marche sur Versailles.
34 - 21 janvier 1793, Le roi Louis XVI est emmené à la guillotine sur une charrette...tirée ici par un buffle.
35 - Le roi est guillotiné sur la place de la Révolution, ancienne place Louis XV devenue place de la Concorde en 1795.
36 - Le peuple se réjouit : "Liberté, Egalité, Fraternité".
37 - Le Général Napoléon Bonaparte (1769-1821) conduit la Campagne d'Egypte en 1798-99.
38 - Le valeureux Tipu Sultan, "le tigre de Mysore" (1750-1799), allié aux Français dans la lutte contre les Anglais, meurt en défendant sa capitale Srirangapattana
39 - L'Empire britannique en Inde.
40 - Chandernagor, ventes des vins et de l'indigo.
41 - La manufacture de Pondichéry qui fabriquait et expédiait les toiles indigotées.
42 - Abolition de l'esclavage. Chapitre II, article 6 de la Constitution de 1848 : "L'esclavage ne peut exister sur aucune terre française".
43 - Les Indiens émigrent vers les Mascareignes puis vers les Antilles. L'abolition de l'esclavage pose un problème de main d'œuvre et les grands propriétaires recrutent des "engagés", travailleurs libres, salariés avec un contrat de 3 ans, en particulier pour travailler dans les champs de canne à sucre.
44 - Carte du "coolie-trade", voyages entre l'Inde et les colonies françaises de l'Océan Indien et de l'Atlantique pour les approvisionner en travailleurs.
45 - Au Bengale, les cultivateurs d'indigo sont sous la coupe des britanniques.
46 - Ils se révoltent en 1860, c'est la "Blue Mutinery" ou "Révolte de l'indigo" car cette culture est si développée par les colons anglais qu'elle menace la culture vivrière du riz.
47 - A Bordeaux, le vin du château Cos d'Estournel est embarqué pour Calcutta. C'est Louis Joseph Gaspard de Maniban, marquis d'Estournel (1762-1853) surnommé "le Maharadjah de Saint-Estèphe" pour son amour des voyages, en particulier aux Indes qui fit construire l'extraordinaire façade des chais, au début du XIXe siècle, dont les tours "pagodes" couronnent des avant-corps au crénelage orientalisant.
48 - Manufacture de Beautiran, créée en 1797 par un Suisse, Jean-Pierre Meillier, qui achète le domaine de Lalande près de l'Estey. Les motifs des indiennes sont imprimés avec des blocs de bois gravés. Pour qu'ils ne puissent plus tisser, les tisserands indiens ont les pouces mutilés par les anglais.
49 - A Madurai, le Mahatma Gandhi (1869-1948) se défait de ses vêtements anglais et revêt un pagne de khadi (tissu filé et tissé à la main, fait à la maison). Les Indiens le suivent et brûlent les vêtements faits avec des étoffes étrangères. C'est le Swaraj et Swadeshi (auto-gouvernance et économie familiale). Gandhi encourage le peuple à ne plus acheter de marchandises étrangères mais à produire localement, au sein de la famille pour développer une activité économique et fournir des emplois à la population rurale.
50 - Gandhi file le coton dans son ashram de Sabarmati à Ahmedabad.
51 - La "marche du sel" (12 mars-6 avril 1930) au Gujarat. Gandhi part de son ashram d'Ahmedabad pour une marche de 300 km qui le conduit à Dandi, au bord de l'Océan Indien, pour protester contre l'impôt très lourd des britanniques sur le sel que personne n'avait le droit de ramasser. En prenant une poignée de sel dans l'océan, Gandhi brave le monopole d'état.
52 - Gandhi fait entrer les intouchables dans les temples.
53 - Indépendance de l'Inde. Le Pandit Nehru (1889-1964), fut l'une des figures de proue de la lutte pour l'indépendance et du parti du Congrès avant de devenir le premier Premier Ministre de l'Inde le 15 août 1948 ; il s'adresse aux indiens : " l'Inde s'éveille à l'aube de la liberté".
54 - Après son indépendance, Pondichéry a gardé de la présence française, une présence culturelle : l'Institut Français de Pondichéry, l'Ecole Française d'Extrême-Orient, l'Alliance Française, le Lycée Français, la Manufacture de Pondichéry, actuel "Swadeshi cotton-mills".
55 - Le port de Bordeaux ne reçoit plus de toiles indigotées mais des paquebots débarquent les touristes en blue-jeans.
56 -57 - Bordeaux exporte maintenant ses avions....vers l'Inde.
58 - Quelques-uns des héros favoris du peintre Niranjan Chetty :
- La reine de Jhansi, Rani Lakshmi Bai (1828-1858), symbole de la résistance indienne face au colonialisme, morte au combat à la bataille de Gwaliar en défendant la ville de Jhansi assiégée par l'armée anglaise.
-Râm Monhan Roy (1772-1833), fondateur du Brâhmo Samâj, un des premiers mouvements de réforme de l'hindouisme, il lutta pour l'abolition du satî, immolation des veuves sur le bûcher après la mort de leur époux.
-Rabîndranâth Tagore (1861-1941). A la fois maître spirituel, peintre, réformateur social, romancier, polémiste et poète, il reçu le Prix Nobel de littérature en 1913.
59 - L'Inde exporte de nouveaux savoir-faire, visage d'une Inde moderne.